13 août 2009

Mon pépé et ma mémé


C'est un fort en gueule. Socialo réglo. Droit et juste. Respectueux. Gentil mais faut pas le chercher ! Du haut de ses 110 kg, il pleure en parlant de sa femme, malade alzheimer déconnectée total du monde. Il pleure aussi en parlant de sa mère, décédée quand il avait 4 ans. Il a 80 ans. Il y a des cicatrices qui ne se referment jamais. Il parle de politique, gueule en matant les infos "intox intox, allez voter bande de blaireaux !!" et me dit : "bon, qu'en est ce que tu me la présentes, ta copine ?"

Je vais le voir tous les jours sur son lit d'hôpital. Il est dans le coma. Tristement silencieux, ce parleur invétéré respire avec une machine et est branché de partout. On entend juste les bips de son coeur.

Je suis arrivée dimanche soir chez mon père que je n'avais pas vu depuis 4 ans. Semaine de retrouvailles. Mes grands parents y sont depuis une semaine déjà. J'arrive. Je vois à la tête de mon père qu'il y a un problème. Mon pépé s'est fait opérer d'urgence dans la nuit d'une fracture de la rate. Il a fait une très grosse hémorragie interne. Du sang plein le ventre. Il est entre la vie et la mort, drôle de flottement. Je lui parle à mon pépé et l'infirmier me dit qu'il m'entend. C'est bizarre de parler à quelqu'un dans le coma. Il a bougé un pied, je prends ça pour une réponse.

Ma mémé, elle, est égarée depuis quelques années déjà. Entièrement dépendante, c'était mon pépé qui s'occupait d'elle : " hors de question qu'un inconnu vienne torcher le cul de ma femme, on a notre dignité merde ! je l'aime depuis 60 ans, ça sera jusqu'au bout que je m'occuperai d'elle" me braillait il quand je lui disais qu'il devait se faire aider dans cette lourde tâche qu'est de gérer un malade alzheimer.
Depuis dimanche, j'ai pris le relais. Je lave ma mémé, je lui fait penser à aller aux toilettes, je lui essuie les fesses, je la coiffe et lui mets de la crème sur le visage, j'écoute ses paroles perdues, ses phrases sans sens, je la regarde errer dans le couloir, perdue dans les profondeurs de son âme. Elle a bien compris que son mari n'est pas là. On lui a expliqué qu'il était à l'hôpital pour des examens. Certains disent qu'elle ne comprend plus rien, moi je suis sûre que si. Elle me dit : "je suis seule", et elle pleure. Ces deux là sont connectés depuis 60 ans. Ils ne peuvent pas vivre l'un sans l'autre, la preuve est là.

Mardi matin, elle est tombée et de peur elle s'est fait caca dessus. Elle était très mal. Avec ma belle-mère, on a appelé les pompiers. Je la tenais dans mes bras, elle était pâle, je lui parlais doucement en lui caressant la tête, y avait de la merde partout sur elle, sur moi. J'ai eu peur. Je tremblé. Les pompiers ont tardé, elle commençait à tourner de l'oeil. J'ai eu peur qu'elle meurt dans mes bras. Maintenant, elle est aussi à l'hôpital. Elle a récupéré un peu. Elle erre dans les couloirs de l'hosto. Elle veut partir, elle cherche son mari, elle se cherche sans doute. Je la prends doucement par le bras et la ramène dans sa chambre, elle me regarde comme si elle ne me connaissait pas. Après, elle me murmure, "heureusement que tu es là". Elle dit des choses insensées, je ne sais pas quoi répondre à cette folie, alors je fais silence, je la regarde tendrement, ce bout de femme, je lui caresse la main. Ça m'angoisse cette déchéance, cette mort cérébrale. Je lui explique que je dois rentrer chez moi aujourd'hui, pour le boulot. On se met toutes les deux à pleurer, elle me dit " fais ce que tu as à faire". Je la quitte, petite, en pleurs dans sa chambre. J'ai mal au ventre et j'ai une boule dans la gorge. Je prends ma voiture et je m'éloigne. Je trouve tout ça cruel. Je culpabilise de la laisser mais c'est ainsi, elle a raison, je dois faire ce que j'ai à faire.

J'étouffe et en même temps, je suis contente d'être là auprès d'eux. C'est ma place à ce moment là.

Pédée Sexuelle



6 commentaires:

Steph a dit…

Tu as beaucoup de courage, et je crois que même s'ils ne sont pas "réveillés", ils savent que tu es là, et je pense très modestement que ça doit être hyper important pour eux.
Je t'envoie du courage :)

Unknown a dit…

Je te souhaite beaucoup de courage, ton témoignage m'a beaucoup ému.

J'ai vécu cela moi aussi, rien que d'y penser, j'en ai les larmes aux yeux.

Emilie.

Lolita nie en blog a dit…

On est nombreux à avoir arpenter ces couloirs à l'odeur qu'on oublie pas, à perdre la notion du temps, à puiser en soi une énergie incroyable...
Ce que tu dit appelle les souvenirs, les larmes aussi ...
Y'a pas d'bons mots, encore moins virtuels mais Courage ! voilà ...

Anonyme a dit…

Ce sont des moments très douloureux et très forts que tu traverses, de ceux qui marquent durablement... Beaucoup de courage à toi.

Pédée Sexuelle a dit…

Merci pour les girl pour vos petits mots sympas...des biz

Caro a dit…

J'suis tombée un peu par hasard sur ton blog que j'aime beaucoup lire. Ton article m'a énormément ému j'en avais les larmes aux yeux peut etre parce que je me remémorais les instants avec ma grand mere à l'hopital (comme toi avec ton grand pere) et puis cette maladie qui fait me terrifie.
Je ne sais pas comme la "situation a évolué" mais je te souhaite beaucoup de courage et de force.

Bises