19 mars 2008

cri du choeur

Cette nuit j'ai pris le chemin le plus épineux et j'ai couru pieds nus jusqu'à l'orée de la forêt.
J'ai parcouru le reste du chemin sur les genoux.
Je suis allée jusqu'au coeur de cette forêt froide, puis là j'ai creusé la terre à mains nues.
J'ai creusé encore jusqu'à m'en arracher les ongles, jusqu'à en saigner, jusqu'à y entrer ma tête, mon cou et mes épaules.
Et ma bouche alors s'est ouverte comme l'univers en big-bang et j'ai hurlé ma rage et ma douleur...et ce cri a duré une éternité, répété en écho par la forêt comme un choeur.
Ce cri a contenu toutes mes larmes amères, tout mon sang ravagé, toute ma folie nue et mon fiel enragé. Et la terre n'a pas eu le choix.
Elle a tout absorbé et elle a du le sentir passer, ça a du lui brûler la gorge à chialer, ça a du lui vriller le ventre à défaillir.
Mais elle a pas eu le choix, elle a tout pris dans la gueule et elle l'a digéré.
Après ça, je l'ai piétinée, j'ai griffé son écorce jusqu'à voir affleurer sa sève, j'ai frappé du pied et du poing sur son ventre malade et je lui ai dit les mots aigre-doux de la mort.
Je lui ai chuchoté à l'oreille tous les mots doux de mes maux sourds et elle les a entendu...mais elle n'a pas répondu.
Elle est demeurée silencieuse parce qu'elle a l'habitude qu'on la malmène depuis la nuit des temps et elle sait bien que je la déteste comme je l'aime.
Elle prend tout et elle rend rien pareil, elle entend tout mais elle répond pas.
Et moi, son mutisme il m'insupporte. Elle est là, elle subit, elle avale, elle encaisse.
Elle reste là stoïque quand je la viole, que je la sonde de ma langue venimeuse, que je la fouille de tous mes membres bandés de rage furieuse.
Et même quand j ai la tête toute entière dans son ventre à vomir mes dégouts, elle reste là, elle demeure.
Mais moi je voudrais qu'elle s'ouvre rouge de colère et qu'elle m'explose toute sa lave au visage et que ça brûle et que ça me calme.
Je voudrais qu'elle éructe, qu'elle gronde et qu'elle tremble.
Je voudrais qu'elle me brûle le visage, qu'elle me déchire le sexe, qu'elle m'égratigne la bouche pour que la chaleur, la jouissance et le sang me ramènent à la vie.
Je veux qu'elle me le montre, je veux qu'elle me le dise que je suis rien et tout.
Je veux qu'elle me le fasse, je veux qu'elle me le rende.
Je veux qu'elle me fasse mal pour me faire du bien.
Elle absorbe les larmes salées de la haine, le sang menstuel des femmes vides, l'urine aigre des hommes gris, leur éjaculat stérile, les corps faisandés de toute l'humanité et elle nous rend des rivières vives, des fleurs pâmées, des arbres bourgeonnés, des forêts frissonnées aux pétales ondulés.
Alors voilà, on piétine son écorce, on s'y agite comme d'abjects barbares, on injecte dans son ventre comme un égoût, tous nos dégoûts aux goûts infâmes.
On l'écoeure jusqu'à la lie de nos coeurs sans ardeur, et elle dans son sein secret, dans son noyau magnétique, elle transforme nos monstruosités en merveilles.
Alors quoi?
Est elle folle ou bien divine pour nous aimer autant qu'on la blesse?
Est elle folle ou bien divine pour nous blesser autant qu'on l'aime?
Elle est déesse et je la vénère et je la hais tout autant.
Elle est religion depuis les hommes premiers et je fais le chemin épineux à pieds, sur les genoux pour lui dire mes vides et mes trop-pleins, mes doutes et mes espérances, mes hontes et mes beautés, mes rages et mes sagesses, mes peines et mes douceurs. Et la forêt est mon choeur et la forêt est son coeur.

"Parce que ce dont on ne se souvient pas révèle ce qu'on ne peut oublier"

Butchy Fem

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Alors là ! Je suis sans voix : émue, admirative, solidaire dans cet amour incommensurable de "Gaïa" et son mystère...
Bravo

Leïla a dit…

Superbe texte ! Je voulais juste vous dire que j'ai fermé mon blog pour pouvoir me retrouver un peu ... je n'ai invité personne, c'est juste moi et moi ... si je l'ouvre, vous serez les bienvenues. Merci de demanbder après moi, je me permets de vous embrasser les 30 doigts.

Les gouinettes poltronnes a dit…

merci pour le compliment les filles!! ; )
et merci de ta réponse leïla, on comprends... bonnes retrouvailles avec toi, prends ton temps. merci pour ton baise-doigts!