12 mars 2008

Mes cousines algériennes

Il y a un an, j’ai fait un voyage. Je suis partie en Algérie, dans de funestes circonstances : mon grand-père, algérien mais vivant en France depuis 60 ans meurt. Il souhaitait se faire enterrer au bled, à Dehamcha, à la frontière de la Kabylie, là-bas dans les montagnes, pas loin de Sétif.

Ma mère et moi embarquons donc vers l’Algérie, pour rapatrier le corps de mon pépé. Je vais à la rencontre de mes cousins et cousines aux noms aussi beaux qu’exotiques et idéalisés dans mon esprit : Mourad, Samira, Abdeljebbar, Sharif, Huria…Mes potes bretons se sont toujours vantés de leurs 70 cousins : tout le monde est cousin en Bretagne, c’est bien connu. Et moi j’avais 2 cousins. Je me suis rattrapée. L’Algérie ressemble à la Bretagne sous cet angle filial. La famille s’agrandissait subitement malgré la disparition de mon pépé.

30mns d’attente dans le noir de l’aéroport de Constantine, un peu déboussolées et pas rassurées de ne voir aucun comité d’accueil, comme prévu. Tout à coup, six hommes, dont deux barbus, me tendent les bras et me serrent contre eux « notre chère cousine, bienvenue ! ». Me voilà au bled. Les femmes voilées nous regardent du bout des yeux. Mes tantes, mes cousines, pas un cheveu ne traîne. Nous mangeons avec les hommes, car nous sommes les invitées. Le couscous est préparé, malaxé par les femmes, assises au sol, autour de grands plats. Ça cause. En arabe, en français. Ici, pas d’eau courante à l’étage, pas de chauffage (c’est l’hiver dans les montagnes), pas de confort, pas de superflu. Les femmes font le service, obéissent au claquement de langue de leurs maris, ou oncles, ou frères. Je me fais engueuler car je me lève pour débarrasser avec elles.

Ma cousine Samira. Belle, des yeux splendides, jaunes-or. Un regard éteint. Tout de suite, nous accrochons toutes les deux. Elle a 36 ans. Nous papotons en douce. Elle me colle physiquement, me tient la main quand on marche, s’assoit contre moi, comme si j’étais une bouffée d’air frais, comme si j’allais la ramener avec moi. Elle me raconte sa vie. Ils vivent à 5 dans trois pièces. Aucun ne travaille vraiment. « Pas de problèmes », oui, jamais de problèmes en Algérie, Inch’Allah. Elle, Samira, dort avec sa mère, qui a 80 ans. Elle n’a jamais dormi seule de sa vie. Imaginez ce manque d’intimité. Elle n’est jamais seule de toute façon. Elle n’a pas le droit de sortir seule dans la rue, sans être accompagnée soit de sa mère, soit d’un de ses frères. Les « Bodyguards », comme elle les appelle, avec tendresse mais désespoir. Ils ne m’ont pas lâché non plus les « bodyguards », à devenir folle. Pas possible pour moi de sortir seule dans la rue, ma mère non plus. Il n’y a pas de femmes dans la rue. L’espace public est masculin à 100%. Nous sommes sans arrêt sous la surveillance d’Abdeljebbar, mon cousin.

Faut dire qu’ici, la religion est omniprésente. Faute d’argent, d’éducation, de culture, les gens prient et ne parlent que d’Allah, de l’Islam. Ils sont devenus fanatiques. La misère est un bon terreau. Deux de mes cousins portent barbes et costumes traditionnels islamiques. Ils essayent de nous convertir. Nous offrent le Coran.

Samira me raconte les non-droits de la famille : pas le droit d’écouter de la musique, pas le droit de lire, pas le droit d’aimer, pas le droit de s’amuser. Elle n’est pas mariée, car ne veut pas d’un mariage d’intérêt, alors elle est célibataire, comment pourrait-elle rencontrer l’homme de sa vie, alors qu’elle est toujours sous haute-surveillance. Comme elle me dit « je suis la bonne à tout faire de tout le monde, bénévole ! ». Elle est brillante, elle manie auto dérision et ironie d’une manière désespérée. Son regard me bouleverse. Elle me dit qu’elle aimerait partir mais pour aller où ? Alors, elle s’est résignée et laisse le temps passé.

Ma mère et moi allons prendre le thé chez des cousins. Les fils de la famille nous montrent leurs albums photos : vacances à la plage, camarades, clichés mode beaux gosses kitsch... Leur sœur se fait rembarrer par l’aîné lorsqu’elle veut me montrer son album. J’insiste pour le voir. Non, elle n’a pas été à la plage, elle. Ce n’est pas un lieu pour les filles, me répondent les deux frères, sûrs d’eux. Elle n’a jamais vu la mer qui est à 2h de route. Elle a 29 ans.

Nous parlons de religion, ils me font peur. Langue de bois et endoctrinement. Tout l’air ici est confiné. Pas de pensée libre, pas de parole libre. Tout le monde s’auto surveille, faute d’occupation. Pas d’esprit critique sur la situation dramatique de leur pays. Pas de contestation. Inch’Allah, c’est le Mektoub. Quel fatalisme. Moi, j’étouffe. Je veux rentrer en France. On n’arrête pas de me répéter que je suis algérienne et que je dois devenir musulmane. Il y a 20 ans, lorsque ma mère a été une première fois en Algérie, aucune femme de ma famille n’était voilée. Les cousines me regardent avec envie et curiosité : je vis seule, loin de mes parents, j’ai un appart, je suis célibataire (je n’allais pas leur raconter que je vis avec une meuf, hein !), je travaille, je suis libre.

Samira et moi, en pleurs à l’aéroport. J’ai hâte de toucher le sol français. Je suis malade à l’idée de la laisser là, à sa condition de femme algérienne.

Je ne me suis toujours pas vraiment remise de ce voyage. J’ai eu très peur de ce que j’ai vu et senti, ce désespoir, cet enfermement, c’est à devenir fou ce pays. D’ailleurs, je pense que j’ai touché un peu à cette folie.



Pédée Sexuelle

11 commentaires:

Leïla a dit…

Ah comme ton billet me touche !

Il est vrai que ça les bouscule (encore, ai-je envie de dire) qu'une femme vive seule, et n'aie aucune envie de "se ranger", de se marier ... que pense Samira du mariage ? Lui arrive-t-il de "s'échapper" ?
Ceci dit, il y a des jeunes femmes qui ont acheté un apprt et vivent seules ... d'autre part, on n'a pas le même rapport à l'intimité ... là-bas, on construit des maisons avec de grandes pièces, le rapport à l'espace est si différent ...on se tient par la main, on se colle (comme tu le soulignes si bien), les gars se promènent bras dessous-bras dessus (sans qu'ils soient taxés de PDs) ... les amours homosexuelles passeraient presque inaperçues tant elles "se fondent" dans le paysage (j'exagère à peine) ...
Quant à la religion, c'est une autre histoire ! Arf !

Anonyme a dit…

Samira rêve d'un mariage d'amour. elle a l'impression que cela serait mieux pour elle, qu'elle serait libre. Je pense qu'elle se trompe à mopins qu'elle tombe sur un mari pas rongé par la religion. Ceci dit, ma famille a l'air d'être très conservatrice. en en parlant avec d'autres algériennes, c'est pas comme ça partout, par ex, dans les villes, c'est plus cool.
par rapport à l'intimité, je pense que meme si effectivement, il y a une part de culturel, les gens en souffrent quand meme. c'est une raison de plus pour s'autosurveiller. c'est aussi du controle social.

es tu née en algérie, toi ? tu y as vécu ?

Zéline a dit…

Il est très bien votre blog à 30 doigts, 6 mains et 3 jolies âmes. Et ce billet est à la fois touchant et poignant. J'espère que Samira verra un jour d'autres horizons plus heureux...

Anonyme a dit…

C'est un conditionnement terrible. Nous, on deviendrait dingues, de devoir vivre comme Samira, n'avoir aucune vie, aucun réel espoir. Ça a du être très difficile pour elle, de te voir partir. Je vais te poser une question peut-être idiote, mais est-ce qu'elle travaille ou envisage de le faire ?

Anonyme a dit…

Madi, non, Samira ne travaille pas, d'ailleurs, personne ne travaille sauf un de ses freres qui de temps en temps part traviller dans le désert. Il y a plus de 50% de chomeurs dans cette région. Les jeunes ne trouvent pas de boulot. Le peu de travail qu'il y a, ce sont des chinois qui l'occupent, surtout dans la construction. Il faut savoir que l'Algérie est un pays très riche : gaz, pétrole ..
Sinon, Samira travaille à la maison, car c'est elle qui fait tout : la bouffe, le ménage...Sa mère est tres agée, elle vit avec ses frères.

Leïla a dit…

Je n'y ai pas vécu, Pédée Sexuelle mais fut un temps où j'y allais souvent ... et disons que j'ai un ptit faible pour "riha te3 lebled" si tu comprends. ;-)
C'est dommage que Samira ne travaille pas, du coup elle attend tellement le "prince charmant" qu'elle va se viander à coup sûr parce que lui ne l'attend pas "telle" qu'elle croit ... ce qui me tue.

Anonyme a dit…

ça me touche ton texte surement parceque mon père et ma grand-mère sont nés labas mais n'en parlent jamais..

Anonyme a dit…

En te lisant ce soir,je me rends soudainement compte, que nous avons été une poignée de privilégiées...je n'ai pas connu la misére,suis née à alger dans une famille francophone,assez aisée...j'ai connu les w end en famille à la montagne et les vacances à la mer..à 14-15 ans,les 1éres boums,les sorties en boite et ciné..Le hic,c'est que je pensais que tous les algeriens nous ressemblaient.....Je vis seule,j'ai une bonne situation,mais je cache mon homosexualité....le comble de l'ironie...elle est considérée encore comme une perversion sexuelle..et je suis medecin...je devrai me soigner?? rires.
Il y a 2 algeries qui s'aiment et se dechirent....TU devrais rencontrer la 2éme pour te réconcilier avec ce beau pays...Nadia

Anonyme a dit…

hey Nadia ! oui, ta situation est schizophrénique ! je sais que l'algérie a diverses facades, mais là quand même, c'est pas simple hein ! c'est pas demain je crois que je vais y retourner, hélas.que tu caches ton homosexualité, je le comprends completement mais ca me peine de te savoir dans un placard, on y étouffe..nan ?
Bien à toi Nadia..

Hey, c'est quoi ce délire sur le blog de titsbits ?? je peux plus y aller, je suis triste moi !

chloé a dit…

salut!
je travaille comme medecin dans une banlieue de ville moyenne avec une grande communauté marocaine et ce que tu decris, les femmes que je rencontre le vivent tous les jours, la pression de la religion, le chomage, l'endoctrinement, le controle de la famille sur les filles les mariages "plus ou moins" desirés...mais je pense vraiment comme tu l'evoques que c'est la misere sociale qui provoque en grande partie cette situation...à nadia je suis aussi homo, ici ce n'est plus une pathologie (quoique?!) mais je n'ai pas fait mon coming out aux patients ;)

Anonyme a dit…

Chloé,Chloé.........une consoeur....où pourrais-tu me raconter ta situation? je sais pédée sexuelle......et tu me connais...