24 avr. 2008

Dans ma voiture, je pleure


Avant je ne pleurais jamais seule. J'avais besoin du regard de quelqu'un. Ou d'une oreille, je ne sais pas trop. En tout cas de la présence d'un autre, un autre compatissant, aimant, patient, prêt à m'écouter et à me voir pleurer. Ça posait quand même quelques problèmes: parce que je n'avais pas toujours l'occasion ou l'envie de me confier, parce que certaines choses, pendant longtemps, sont restées et restent encore incommunicables, coincées au fond de ma gorge, enfermées là-dedans à double-tour. Sans parler du fait que je me montrais ainsi sous mon pire jour: défigurée, les yeux ravagés, la face retournée. C'était avant de commencer ma thérapie. Parce qu'après, ça s'est ouvert les vannes et ça a déclenché la capacité à pleurer seule. Maintenant, quand je pleure, la plupart du temps, c'est dans ma voiture. La voiture, c'est l'idéal pour pleurer, c'est un endroit où quand on est seul, on est vraiment seul, personne ne risque de frapper à la porte et on n'est pas censé répondre au téléphone. On ne fait pas rien et en même temps on n'est pas très occupé. On peut écouter de la musique, en rapport avec l'humeur du moment. Le paysage est changeant, ce qui donne au chagrin une respiration, lui autorise un point de fuite. Le trajet en lui-même lui donne aussi une échéance: on va arriver, il faut stopper ces larmes, passer à autre chose. Ce qui est bien, c'est que je mets un petit plus d'une demi-heure à aller et à revenir du travail: ça me laisse le temps, les jours où ça ne va pas, de penser à ce qui me contrarie ou me chagrine, de pleurer, de sécher mes larmes, de me moucher et de reprendre contenance. Et ce temps souvent suffit.. Alors ce qui s'amoncelle dans ma poitrine, ce point d'ancrage douloureux du chagrin, cette densité-là enfin me quitte. Bien plus souvent qu'avant. Je pleure seule et c'est une bénédiction, une libération et les amours gâchées, les liens ténus et les disputes, les frères morts, les colères, les peurs, les inquiétudes, les agitations et les déceptions peuvent aller se rhabiller: je pleure seule et je n'en reviens toujours pas.
Baby Dyke

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