13 mai 2009

Jeanne Juliette

"Administration générale de l'assistance publique
Service des enfants assistés de la seine

Renseignements sur l'enfant abandonné

-Sexe de l'enfant : féminin
-nom et prénom : G. jeanne juliette
-lieu et date de naissance : née le 15 mai 1914 à Paris XI
-est-il légitime ou naturel : naturel
-lieu de l'accouchement : Maternité J
-voeu des parents quant au culte : indifférence

Avis donné à la personne qui présente l'enfant

-a-t-elle déclaré ne pas vouloir solliciter de secours : refuse tout secours
-lui a-on dit que l'admission d'un enfant à l'hospice ne constituait pas un placement temporaire, mais bien un abandon? : oui

connait-elle les conséquences de l'abandon qui sont les suivants :
-ignorance absolue des lieux où l'enfant serait mis en nourrice ou placé? : oui
-absence de toute communication, même indirecte, avec lui? : oui
-nouvelles de l'enfant données dans les 3 mois seulement et ne répondant qu'à la question de l'existence ou du décès? : oui

Explication détaillée des motifs qui ont amené l'abandon de l'enfant:
cette jeune fille déclare avoir été violée. elle a pu dissimuler sa grossesse à sa famille et elle abandonne son enfant pour pouvoir rentrer chez sa mère."


Après le décès de notre grand-mère, abandonnée à sa naissance, ma soeur et moi-même avons décidé de réclamer son dossier de l'assistance publique, dossier dont elle n'avait elle-même jamais pris connaissance. Elle m'avait conté, par bribes, sa vie de misère, l'absence d'affection, le travail à la ferme à 12 ans, le bras "estropié" faute de soin en pouponnière, les brimades, la violence, le rejet. Être abandonnée, ne pas être désirée, ne pas être attendue, ne pas être voulue, ne pas être aimée, ne pas être soignée, ne pas être choyée, être niée dans sa chair, être déniée de sa propre valeur, de sa raison d'être au monde, de son droit d'exister... et survivre malgré tout.
Elle a travaillé dans 8 fermes différentes, de 12 ans à 19 ans. Les enfants abandonnés étaient à l'époque, une main d'oeuvre bon marché et corvéable. Elle n'a jamais été adoptée, mais trimballée de pouponnières en foyers, de foyers en fermes. Dans le dossier, il y avait son compte de pupille avec les noms des employeurs, les lieux, le salaire placé sur un livret... une vie en colonnes, en lignes. Le mariage comme un salut, elle épouse Marcel à 19 ans avec l'autorisation de l'assistance publique. Elle eut trois enfants de deux mariages, deux fils, une fille : ma mère. Elle a trimballé sa difficulté d'être mère, d'aimer sans l'avoir été elle-même. Ma mère a trimballé cette difficulté à son tour et le poison se répand encore.

Elle était une pupille de l'état, elle le savait, nous le savions, c'était sa plaie, sa croix, notre poison.
Elle était le fruit d'un viol, elle l'ignorait, nous le savons, c'est notre rage partagée, notre révélation.

je porte son prénom et son amour, comme une revanche.


Butchy Fem

3 commentaires:

ash a dit…

Deux mots: sans mots

Mademoiselle Gecano a dit…

Les mots me manquent : émue, troublée...

Louve a dit…

c'est triste et magnifique à la fois. Ne pas l'oublier...